La bâtarde - Violette Leduc
"Mon cas n'est pas unique : j'ai peur de mourir et je suis navrée d'être au monde. Je n'ai pas travaillé, je n'ai pas étudié. J'ai pleuré, j'ai crié. Les larmes et les cris m'ont pris beaucoup de temps...
Le passé ne nourrit pas. Je m'en irai comme je suis arrivée. intacte, chargée de mes défauts qui m'ont torturée. J'aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon fumier".
Ces mots-là, en incipit de La Bâtarde (premier volume de son autobiographie en 1964), que ne les a-t-elle haîs, mâchés, criés, ruminés, couchés sur papier, habités ; marque indélébile d'une enfant née "naturelle" - qui ne l'oubliera jamais -, d'une mère ancienne domestique, et d'un fils de grande famille bourgeoise, qui ne la reconnaîtra pas, née, douloureusement, de deux mondes oposés, insatiable de littérature, d'amour, de femmes, d'hommes de reconnaissance, attirée par le luxe, les milieux différents, narcissique, obsessionnelle, se vivant "laide" et "déchue", telle "une limace sous son fumier" et bâtarde en somme.
Violette Leduc (1907-1972) naît a Arras et grandit à Valenciennes, élevée dans un milieu de femmes ; sa mère, sa grand-mère maternelle, à laquelle elle s'est attachée et qui meurt trop tôt, pour une enfant, sa marraine. Elle est interne au collège, elle y fait la découverte de ses premières amours féminines, Isabelle, puis Denise, de ses premières passions littéraires, Les Nourritures Terrestres et Gide et puis aussi tout un univers livresque, éclectique, salvateur, elle est bonne élève et si on lui demandait à quoi elle rêve, elle répondrait "de devenir écrivain". Sa mère s'est remariée, elle a bientôt un demi-frère. Sa liaison avec Denise, scandalise le collège, elles sont renvoyées.
La famille déménage à Paris. Elle abandonne ses études, ayant raté son bac, et décide de gagner sa vie. Elle entre chez Plon où elle rédige des échos publicitaires, croise nombre d'écrivains, décide d'écrire. Immédiatement, ce qu'elle a à dire se fait intense, violent, résolument impudique, provocateur. Elle se marie en 1939, sur un coup de tête, se sépare trois ans plus tard. Dans la société Synops, où elle est chargée d'écrire des scénarios, elle rencontre Maurice Sachs - amitié amoureuse , qui comptera beaucoup dans sa vie -. Il l'incite à écire ses souvenirs d'enfance. Cela donnera l'Asphyxie. Elle est critique littéraire pour la Nouvelle Revue Critique.
1945 est une date essentielle dans sa vie, et sans doute la plus marquante, parce qu'elle rencontre Simone de Beauvoir. Elle lui apporte son manuscdrit, Beauvoir est saisie par un "corps élégant", un "visage d'une brutale laideur", convaincue d'un talent littéraire certain. Elle la prend en main, lui accorde des rendez-vous mensuels, pour corriger ses écrits, lui verse une aide matérielle, sous forme de pension.
Etrange relation faite de fascination réciproque, d'une fidélité réciproque et pour le moins étonnante, qui liera ces deux femmes que tout sépare ; le milieu social, le physique, le style littéraire, le sentiment ; chez Violette, un amour fou pour Simone de Beauvoir, envahissant, fervent, excessif toujours, parce que rien n'est banal pour cette femme qui veut aimer et toute au "bonheur d'adorer, d'admirer", que c'est pour sa lectrice privilégiée qu'elle écrit, et tout en elle l'exprime, dans une admiration sans bornes. Chez Simone de Beauvoir qui ne partage pas cette passion, les sentiments restent ambivalents. "La femme laide a commencé un nouveau roman, bon, je crois. Elle y parlera de la sexualité féminine, comme aucune femme ne l'a jamais fait, avec vérité, avec poésie, et plus encore. Ravie que j'aime le début, elle avait l'air un peu moin malheureuse de vivre seule, éternellement seule, juste en écrivant", écrit-elle le 17 mars 1948 à NELSON ALGREN écrivain américain devenu son amant). Le 1er novembre de cette même année, elle lui écrit encore : "Soirée avec la femme laide. Le roman qu'elle prépare n'est pas trop bon et comme elle n'a rien d'autre dans la vie, je n'ose lui dire. Elle continue à se dévorer d'amour pour moi, cette entêtée".